Le mythe ou le problème de l’échiquier de Sissa : du CP au lycée !
https://jpgeorget.pages.unicaen.fr/maths/numeration-calcul/echiquier-sissa/Un énoncé mathématique constitue rarement un problème pouvant convenir à chaque niveau de l’enseignement primaire ou secondaire. Le problème proposé ici peut, lui, trouver sa place dès le CP (enfants de 6 ans) et jusqu’au lycée. Seul le niveau primaire est développé ci-dessous.
Il s’inspire du mythe de Sissa dit aussi Problème de l’échiquier de Sissa (Wikipédia).
Celui-ci peut prendre des appellations et des formulations différentes. En voici une version avec un échiquier qui le rend présentable à des élèves de l’enseignement primaire et secondaire :
Un échiquier a 64 cases (8 lignes et 8 colonnes). On place un grain de riz sur la première case de l’échiquier. Ensuite, on place 2 grains de riz sur la deuxième case, 4 sur la troisième case, etc. On double le nombre de grains de riz à chaque case.
On imagine que l’on a rempli toutes les cases de l’échiquier.
Peut-on calculer le nombre total de grains de riz placés sur l’échiquier ?
Les premiers cas peuvent se représenter, par exemple, par le tableau suivant :
| Case | Nombre de grains | Somme |
|---|---|---|
| 1 | 1 | 1 |
| 2 | 2 | 3 |
| 3 | 4 | 7 |
Note 1 : Pour présenter cette situation aux élèves, il est recommandé de leur « raconter » l’histoire, voire de la conter à la manière d’une légende, plutôt que de leur un faire lire un texte. La priorité est la compréhension de la situation, pas le déchiffrage du texte.
Note 2 : La formulation de la question initie d’emblée un débat et la nécessité d’une argumentation. Cette dernière peut devenir une preuve, c’est-à-dire une explication acceptée par la classe de la validité de la réponse. Il faut s’attendre à différentes sortes de réponse de la part des élèves : oui, non, ça dépend, on ne peut pas savoir, oui car… non car…
Note 3 : Dans un premier temps, les élèves n’ont pas besoin de matériel même si on peut leur montrer un échiquier et des grains de riz. L’essentiel est qu’ils comprennent le problème posé. Ils peuvent ensuite réfléchir, anticiper, chercher, modéliser, etc.
Remarque
Le problème est simple à poser et à comprendre par de jeunes élèves mais le calcul du nombre total de grains de riz est hors de portée pour les plus jeunes élèves du primaire. Le calcul serait long pour un adulte, sauf s’il utilise un ordinateur et un logiciel adapté pour faire les calculs. D’où la question formulée sous la forme « Peut-on… ? » (question qui renvoie aux domaines du possible…)
CEPENDANT, sans effectuer tous les calculs, les élèves ont, collectivement au moins, les moyens intellectuels pour répondre correctement à la question. Plus encore, cette situation permet de faire travailler l’ensemble des élèves sur le même problème malgré leurs différences de compétence en numération ou en calcul.
Tout ceci fait que c’est une situation assez rare qui mérite d’être proposée aux élèves !
Autres intérêts de la situation
Le calcul du nombre de grains de riz correspond à un phénomène de type exponentiel, c’est un des autres intérêts de cette situation. En effet, ce type de situation se rencontre rarement dans la scolarité avant le lycée alors que les élèves peuvent finalement le rencontrer dès l’école primaire.
Mais ce problème permet bien d’autres choses :
- Faire découvrir aux élèves un phénomène exponentiel, simple à comprendre, avec des calculs que des calculatrices ne peuvent pas calculer, sauf peut-être certaines au niveau du lycée. Même un tableur tel que LibreOffice Calc ne peut effectuer correctement tous les calculs nécessaires (voir les fichiers en bas de page). Et pourtant, les élèves vont pouvoir donner une réponse !
- Faire rencontrer aux élèves des types de nombres que l’on ne rencontre pas tous les jours. La 64e case contient au sens strict des « milliards de milliards » de grains de riz. La somme totale de grains de riz elle aussi. Moments rares en numération dans les classes ! Et pourtant, ils pourront tout de même s’exercer à la lecture de plusieurs nombres plus ou moins grands adaptés à leur compétence.
- Exercer la compétence des élèves à multiplier rapidement par 2 et à faire des additions de nombres à plusieurs chiffres, selon les niveaux, en lien avec la maîtrise des tables d’additions ou de multiplications par 2.
Ainsi, le même problème permet à tous les élèves de travailler leurs compétences en numération et en calcul.
Exemple de mise en oeuvre
- Les élèves peuvent calculer les premières cases et les sommes assez facilement.
- Arrive un moment où les calculs deviennent longs et où les élèves ne trouvent pas tous les mêmes résultats. Ce moment dépend en partie du niveau d’enseignement.
- Les élèves vérifient par petits groupes, corrigent les erreurs puis la classe vérifie collectivement. La liste des cas traités et vérifiés s’allonge, les élèves tentent d’aller plus loin. Certains utilisent la calculatrice mais cette dernière montre vite ses limites.
- Certains élèves finissent par abandonner devant l’ampleur et la difficulté de la tâche. Collectivement, il faut se rendre à l’évidence : il va être très long de calculer tous les nombres nécessaires.
- Retour à la question posée : Alors, peut-on calculer le nombre total de grains de riz placés sur l’échiquier ?
La conclusion est : Oui, on pourrait calculer ce nombre mais ce serait très long et il serait facile de faire des erreurs à chaque étape. Certains élèves pourraient même conclure que ce ne serait pas très passionnant alors que d’autres seraient prêts à relever le défi.
L’enseignant peut alors montrer ou distribuer la liste des résultats (voir en bas de page le fichier resultats-probleme-echiquier-sissa).
Au cours de leurs recherches, les élèves peuvent faire différentes découvertes :
- Déterminer une limite au-delà de laquelle ils ne peuvent pas ou ne veulent plus faire le calcul manuellement.
- Déterminer une limite au-delà de laquelle ils ne peuvent pas faire le calcul avec une calculatrice car ils constatent que la calculatrice finit par donner des doubles ou des sommes carrément fausses ! En effet, les élèves peuvent constater et prouver les théorèmes suivants :
- À part pour la première case, les nombres de grains de riz se terminent obligatoirement par 2, 4, 8 et 6 (voir explication ci-dessous)
- les sommes partielles de grains (somme des grains de la première case jusqu’à la 2e, la 3e, etc.) se terminent obligatoirement par 1, 3, 5 et 7, ce qui est en lien avec le constat précédent.
Explication pour le chiffre des unités du nombre de grains de riz de chaque case :
- Les premiers nombres se calculent facilement (2, 4, 8, 16, 32, 64, 128…).
- Si le nombre se termine par un 2, le prochain se termine forcément par un 4
(car $2\times …2 = …4$).- Si le nombre se termine par un 4, le prochain se termine forcément par un 8
(car $2\times …4 = …8$).- Si le nombre se termine par un 8, le prochain se termine forcément par un 6
(car $2\times …8 = …6$).- Si le nombre se termine par un 6, le prochain se termine forcément par un 2
(car $2\times …6 = …2$). Et on retrouve le premier cas, un nombre qui se termine par un 2.Explication pour les sommes partielles :
- Les premières sommes partielles se calculent facilement (1, 3, 7, 15, 31, 63…).
- Pour simplifier l’explication, examinons le cas de la case 6 : le nombre de grains de la case se termine par un 2 et la somme partielle de la ligne précédente se termine par un 1. Si on ajoute le nombre de grains de la case avec la somme partielle de la ligne précédente, on obtient donc un nombre qui se termine par $2 + 1$, c’est-à-dire par 3 ce qui est effectivement le cas puisque ce nombre est 63. On peut raisonner ainsi pour chaque ligne puisque l’on peut prédire par quel chiffre se termine le nombre de grains de chaque cas sans pour autant calculer ce nombre.
Avec un tableur ou un langage de programmation tel que Scratch, les élèves peuvent :
- Déterminer une limite au-delà de laquelle ils ne peuvent pas faire le calcul avec un ordinateur, par exemple à l’aide des fichiers annexes disponibles en bas de page. Attention, le fichier de tableur LibreOffice ne donne pas toutes les valeurs exactes. Il n’est donné que pour illustrer une manière de modéliser le problème à l’aide d’un tableur.
- Avec le tableur, les élèves peuvent constater que les nombres obtenus se terminent bizarrement par des « 0 » sans raison valable. De plus, les explications et les preuves précédentes montrent, elles aussi, que c’est impossible. On peut indiquer aux élèves qu’il est rarissime, mis à par dans les recherches mathématiques, d’avoir à calculer de manière exacte avec des nombres d’une telle taille. Ainsi, les logiciels de bureautique ne sont pas programmés pour effectuer correctement ce type de calculs, ils arrondissent les calculs.
Exploiter le tableau de l’ensemble des résultats ?
Avec le fichier resultats-probleme-echiquier-sissa :
- Les élèves peuvent vérifier que le tableau est correct en commençant par vérifier quelques calculs, par exemple le passage de la case 45 à la case 46. Mais chaque élève pourrait choisir ce qu’il veut en fonction de sa capacité à calculer, par exemple passer de la case 6 à la case 7, ou bien de la case 15 à la case 16. Les élèves pourraient verbaliser les règles à suivre ou l’enseignant les leur donner.
- Pour le contenu de la case, il suffit de multiplier par 2 ou d’additionner deux fois le nombre de grains de la case précédente.
- Pour la somme, il suffit d’ajouter la somme à la case précédente avec nombre de grains de la case.
- Les élèves peuvent se répartir et vérifier tous les cas.
- Les élèves peuvent aussi effectuer des calculs approchés plutôt que des calculs exacts pour estimer la vraisemblance des résultats. Par exemple, pour passer de la case 21 à la case 22, on passe d’environ 1 million à 2 millions. C’est aussi un moyen de travailler la numération.
Note à propos des plus grands nombres du tableau : Pour vérifier la dernière ligne, un élève n’a que 2 fois 20 additions de nombres à un chiffre à effectuer. Tentant, non ?
Autres exploitations possibles
- Le problème initial part de la multiplication par 2 mais on peut poser le même problème en multipliant à chaque étape par 3, par 4, par 5, etc.
- Le cas de la multiplication par 10 permet de faire le lien avec les unités de numération : unité, dizaine, centaine, millier, dizaine de milliers, etc.
- La situation peut être utilisée pour tracer une représentation graphique de l’évolution du nombre de grains de riz en fonction du numéro de la case… avec le constat que la hauteur du graphique va être rapidement difficile à maîtriser ! Pour la 8e case, il faut représenter 512. Pour la 14e case, il faut représenter 8192. Quelle échelle faudrait-il choisir ? Et où vont se trouver les nombres suivants ?! C’est aussi l’intérêt de cette situation que de permettre changer de cadre, passer du cadre numérique au cadre graphique et mettre les deux en relation.
Objectifs didactiques et pédagogiques
Cette situation peut être utilisée de différentes manières avec des enjeux différents selon les élèves ou les classes concernées.
L’objectif principal est que les élèves trouvent eux-mêmes une proposition de réponse, des explications et des preuves. À l’inverse, trouver le nombre total de grains de riz n’est ni un objectif ni même raisonnablement possible du fait de la taille des nombres impliqués au fur et à mesure des calculs.
Cependant, plusieurs objectifs méritent d’être travaillés :
- Chercher, représenter et modéliser un problème (ici en utilisant des additions, des multiplications et différentes notations personnelles ou non).
- Fréquenter des grands nombres qui se calculent à partir d’une règle très simple.
- Fréquenter un phénomène exponentiel accessible à tous les niveaux de l’enseignement primaire et secondaire.
- Calculer des doubles et des sommes, éventuellement sous forme de calculs approchés.
Mais aussi :
- Échanger avec ses pairs.
- Discuter la validité des propositions d’autres élèves, vérifier…
- Tester les limites de ses connaissances mathématiques.
- (Re)découvrir la limite et la puissance de certains outils ou écritures mathématiques dans le cas des grands nombres.
- Utiliser une calculatrice ou un ordinateur pour effectuer des calculs avec des grands nombres, (re)découvrir leur puissance mais aussi leurs limites.
- Découvrir l’histoire et les appellations des grands nombres (milliers, millions, milliards, billions, etc.), sans forcément chercher à toutes les maîtriser, et ainsi se rapprocher de… l’infini… Vertigineux en somme ! Quel plaisir pour les élèves, et tous peuvent en profiter !
Éléments mathématiques complémentaires
Sur un échiquier ($8 \times 8 = 64$ cases), le problème revient à calculer :
$$Nombre\thinspace total\thinspace de\thinspace grains\thinspace de\thinspace riz = 1 + 2 + 4 + 8 + 16 + 32 + 64 + \cdots$$
$$\cdots + 9 \thinspace 223 \thinspace 372 \thinspace 036 \thinspace 854 \thinspace 775 \thinspace 808 = 18 \thinspace 446 \thinspace 744 \thinspace 073 \thinspace 709 \thinspace 551 \thinspace 615$$
Ce qui, en utilisant la notation sous forme de puissances de 2 (non utilisées à l’école primaire), équivaut à :
$$Nombre\thinspace total\thinspace de\thinspace grains\thinspace de\thinspace riz = 2^0 + 2^1 + 2^2 + 2^3 + 2^4 + 2^5 + 2^6 + \cdots + 2^{63}$$
Les plus grands nombres impliqués sont de l’ordre de $10^{18}$ ou $10^{19}$, autrement dit de l’ordre du milliard de milliards (pas « de sabords »1), c’est-à-dire largement hors de portée d’un calcul manuel standard.
Mais, comme dit plus haut, l’objectif premier n’est pas que les élèves trouvent eux-mêmes le nombre de grains de riz, surtout pas manuellement.
En effet, l’énoncé se termine volontairement par la question « Peut-on calculer le nombre total de grains de riz placés sur l’échiquier ? » et non pas la consigne plus traditionnelle « Calculer le nombre total de grains de riz placés sur l’échiquier ».
Épilogue
Indépendamment de cette page, il est possible de vérifier la validité de la somme totale et des calculs intermédiaires sur WolframAlpha en modifiant la formule sum(2^(k-1), k, 1 ,64), notamment le nombre 64 pour calculer les sommes partielles.
Explication : Le nombre de grains est multiplié par 2 à chaque fois. La première case correspond à $2^0$, la deuxième à $2^1$, la troisième à $2^2$… jusqu’à la 64e à $2^{63}$. La formule saisie correspond à la somme des nombres de grains de riz de la 1e case à la 64e.
Références
- Problème de l’échiquier de Sissa (Wikipédia)
-
Dans les aventures de Tintin, le Capitaine Haddock emploie fréquemment l’expression « Mille milliards de mille sabords ! », parmi tant d’autres. Le nombre de sabords (ouverture dans un bateau pour tirer au canon) vaut donc ici $1000 \times 1 \thinspace 000 \thinspace 000 \thinspace 000 \times 1000 = 10^3 \times 10^9 \times 10^3 = 10^{15}$. C’est $1000$ à $10 \thinspace 000$ fois moins grands que les nombres en jeu dans le problème de l’échiquier. ↩︎