Effet Topaze et effet Jourdain
https://jpgeorget.pages.unicaen.fr/blog/2024/effets-topaze-et-jourdain/Deux effets du contrat didactique introduits par Guy Brousseau dans le cadre de l’élaboration de la Théorie des situations didactiques (1998).
Effet Topaze
L’enseignant obtient la réponse attendue d’un ou plusieurs élèves sans qu’il puisse s’assurer que ces élèves ont compris pourquoi c’était la bonne réponse. L’enseignant peut par exemple, consciemment ou non, faire une mimique ou bien utiliser une intonation particulière pour influencer la réponse des élèves : Est-ce que l’on va procéder comme cela ? (en sous-entendant que ce ne sera pas possible). Les élèves risquent alors de répondre « Non », sans comprendre pourquoi ou même sans comprendre la question.
Pour illustrer cet effet de contrat :
- Un extrait de la mise en film de la pièce de Marcel Pagnol sur YT (option 1 ou option 2) qui illustre l’origine de l’expression. Le personnage principal, Topaze, insiste sur « les moutonssss » auprès d’un élève pour qu’il ajoute un « s » à « mouton » pendant une dictée, sans chercher à s’assurer que l’élève comprenne pourquoi.
- La définition originale de Guy Brousseau, chercheur didacticien des mathématiques qui a introduit l’expression.
Effet Jourdain
L’enseignant dit ou pense reconnaître une connaissance chez un ou plusieurs élèves alors que cet indice est superficiel et ne rélève pas l’état de connaisance de ces élèves.
Par exemple, soit l’énoncé suivant :
Une personne achète 1,5 kg de pommes à 2,60 €/kg. Combien doit-il payer ?
Prenons un élève qui ne sait quelle opération effectuer (ici, une multiplication). L’enseignant pourrait remplacer les nombres décimaux par des nombres entiers et lui dire : « Et si c’était 2 kg de pommes à 3 €/kg, quelle opération ferais-tu ? ». L’élève proposerait probablement une multiplication et l’enseignant pourrait conclure, sans pouvoir s’en assurer, que l’élève a compris ce qu’était la multiplication de deux nombres décimaux puisqu’il a fourni la bonne réponse.
En effet, multiplier deux nombres entiers (ici $2 \times 3$, c’est à dire $3+3$) n’est pas exactement la même opération que multiplier deux nombres décimaux. En effet, avec des nombres décimaux et sans transformation, l’addition itérée n’est pas possible. Il y a un saut conceptuel à faire et « l’aide » proposée par l’enseignant risque de ne pas remplacer une réelle séquence d’enseignement sur le sujet (qui ici relève généralement de la fin du cycle 3).
Le site pour un dictionnaire de didactique des mathématiques fournit une définition de référence de l’effet Jourdain.
Le nom de cet effet de contrat trouve son origine dans « Le bourgeois gentilhomme » de Molière, acte II, scène 4.
- MONSIEUR JOURDAIN : […] Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Fort bien.
- MONSIEUR JOURDAIN : Cela sera galant, oui.
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
- MONSIEUR JOURDAIN : Non, non, point de vers.
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Vous ne voulez que de la prose ?
- MONSIEUR JOURDAIN : Non, je ne veux ni prose ni vers.
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
- MONSIEUR JOURDAIN : Pourquoi ?
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.
- MONSIEUR JOURDAIN: Il n’y a que la prose ou les vers ?
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
- MONSIEUR JOURDAIN: Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : De la prose.
- MONSIEUR JOURDAIN : Quoi ! quand je dis: « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
- MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Oui, Monsieur.
- MONSIEUR JOURDAIN : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela.
Monsieur Jourdain a-t-il réellement compris ce qu’était la prose quand il « donne la bonne réponse » en disant « je dis de la prose ». Le maître de philosophie a-t-il enseigné ce qu’était la prose ? Ce n’est pas certain.
Références
- Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Éditions La pensée sauvage.